Chemin d'eaux vives
Vif, le ruisseau est un compagnon fidèle, il fouille chaque recoin du terrain qu'il occupe, épouse parfaitement la ligne de fond du paysage, on le devine serpentant plus loin sous les feuillages, et s'étirer en lacets fabuleux dans la plaine qu'il dévore avec assiduité et persistance. A sa source bondissante et capricieuse le ruisseau signe une vie perpétuelle et prolonge la rêverie du promeneur. A chaque instant c'est avec fracas qu'il bondit dans une transparence lustrale. Tout semble nous dire alors: « regarde, vois, écoute, sens, la vie couler sous tes yeux, éphémère humain! », On voudrait alors la retenir, prolonger son cours, en saisir toute la vigueur et la force, faire des chemins d'eaux vives, la porter aux nues sur des voies de planches, la faire chanter, tourner, un sublime instant! Et comme un espace sans fin, il retourne à son lit poursuivre plus loin son incarnation spontanée.
A l'implacable netteté de la ligne d'horizon s'oppose la sinuosité du rupt qui révèle les accidents terrestres, ses imperfections et ses failles.
C'est dans les interstices de son irrésistible descente au point zéro , son état final , qu'il faudra saisir le bon bief, le chenal ancestral d'un vieux « haut-fer », la déclivité suffisante, le point de vue qui favorisera une lecture dynamique qu'une création plastique induit dans le paysage. Le long d'une voie verte, d'un moulin, d'une scierie et à proximité d'espaces protégés et d'une nature en harmonie avec les habitants, loin des routes qui forcent à contorsion indésirable certains ruisseaux.
La création se voudrait perçue comme un prolongement à la fois ludique mais aussi vain de ralentir l'inéluctable retour au sol du matériau, en usant de cette perte comme force dynamique. Acheminée sur des chenaux de bois brut qui inscrivent dans le paysage des lignes fortes par le croisement des horizontales et des verticales que nécessite leur construction. En fin de parcours, la force vive et motrice de l'eau se libère sur des roues servant de motrices et animant les parties mobiles et sonores. Construites de perchis de bois brut écorcé, les lignes et les nervures des structures ponctuent et rythment le paysage au gré des mécaniques hydrauliques. Ici, force et intelligence font corps avec une nature qui ne s'oppose pas mais qui nous convie à un « événement » dans le paysage en tentant d'ouvrir une image qui combine dynamique poétique et méditation.
Hybrides, ces constructions le sont dans le sens où elles tentent d’intégrer à la fois la dimension architecturale et environnementale et doivent être, avant toute approche, décodées comme des signes singuliers dans le paysage qui les accueille.
En second lieu, elles véhiculent l’idée de présence et invitent le spectateur à une introspection toute fictionnelle dans les méandres de ses repères spatiaux et temporels.
Les moulins et les mouvements qu’ils provoquent attestent d’une vie propre au lieu, liée aux éléments qui le constituent, vent, eau, herbes, animaux, roches et fragments. Le caractère ludique rassure autant qu’il questionne le visiteur sur son rapport au monde et à l’environnement.
Enfin, l’introduction d’éléments de mécanique rudimentaire qui ne se révèlent que dans l’intimité du lieu et qui prolongent la réflexion sur notre rapport aux machines et leurs fonctions dans une ère marquée par leur présence persistante et incontournable. La dimension sonore qu’elles génèrent ouvre sur un vertige complémentaire : la méditation sur l’espace environnant et les forces en présence qui partagent le territoire.
La création pourrait aussi servir de support à un travail de création théâtrale ou une création musicale, un événement autour du lieu.
Parallèlement à ce travail de création par rapport à un lieu, l'artiste propose une exposition de « méta-machines » pour faire écho au travail réalisé sur le site: une exposition de sculptures sonores et mobiles, interactive avec le public.
« Histoire d'eau »
Ce n'est qu'il y a peu que m'est parvenue cette histoire. Trois compères, que je connaissais pour d'autres méfaits, voulaient perpétrer une œuvre à rebours du bon sens : appelons les hydro*, unda** et aqua** (par charité chrétienne et lustrale).
Désobéissant à la loi de l'apesanteur, ces non-soigneurs de gravité, voulaient réfuter l'argument du poète (passe-moi le Ponge) comme quoi l'eau est douée de cette manie imbécile de tomber et s'étaler ; ils veulent en retarder l'imminence !! La détourner, la faire voyager, chanter, jouer, occuper les yeux du populaire.
Dans une volonté de transcendance, hérissant pieux, poteaux, verticalités hautaines, ils tentent de noyer le poisson, d'élever la flaque, de faire de Dieu un Narcisse, et des anges des renoncules. Où nous mène cette hétérotopie ?
Nous avions les localisations, puis l'étendue, puis l'espace (M. Foucault) et enfin le land-art : la chose était entendue, quel besoin de bousculer nos choses sûres. Le paysage était assuré, à l'horizon aucun barbare, aucun désert, aucun tartare.
Mais voilà que sourd de la terre, un objet inqualifiable qui sans être écologique n'est pas polluant, qui sans être manufacturé et fait à la main, qui sans être repoussant nous dit la sueur, le faire et l'envie, bref, un O.T.N.I.**** .
Gageons que plus d'un ira de l'observation à la harangue, de la circonspection à l'enthousiasme, du refus de croire à la prière d'insérer, serait-ce l'aveu d'un désir ? Joie partageable, il nous offre l'eau désaltérante, le filet mignon, « un frisson d'eau sur de la mousse », une simplicité confondante qui nous relie au sol. L'art du paysage ne nous touche qu'à la condition que notre corps y soit. Ainsi œuvrent-t-ils.
Guy Goulon
* Hydro : l'objet eau
** Unda : l'onde, l'eau mouvante
*** Aqua : l'eau dans sa nudité
**** O.T.N.I. : Objet Terrestre Non Identifié